Quelle est la portée de l'obligation de reddition des comptes incombant à la tête d'un réseau de distribution commerciale ayant recours au mandat ? 2/2
Une tête de réseaux de distribution commerciale est susceptible de faire face, en sa qualité de mandataire, à des demandes de ses adhérents visant à obtenir la transparence sur les résultats des négociations qu’elle a pu mener ou sur les sommes qu’elle a pu encaisser, pour leur compte et en leur nom, à travers une centrale de référencement ou d’achats.
Une tête de réseau peut ainsi se trouver dans la situation où elle doit faire le partage entre les informations qu’elle peut légitimement conserver par-devers elle et celles qu’elle doit communiquer à ses membres, en leur qualité de mandant.
Afin d’anticiper la réception d’une telle demande de la part d’un ou plusieurs membres, une tête de réseau doit procéder en amont à des aménagements contractuels lui permettant d’y répondre, sans toutefois dévoiler les informations relevant de son secret des affaires.
Sur l’appréciation de la portée de l’obligation de reddition des comptes dans un réseau de distribution commerciale
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Sur le devoir de la tête de réseau de communiquer en sa qualité de mandataire ce qui a été contractuellement prévu au titre de la reddition
Si les parties ont prévu contractuellement les modalités de l’exécution de l’obligation de reddition des comptes du mandataire, le mandataire doit les respecter. A défaut, il engage sa responsabilité contractuelle (CA Paris 1er juin 2016 nº 14/00997).
En présence de clauses précises, le mandant peut ainsi légitiment obtenir du mandataire les informations prévues au sein du contrat, en vue de vérifier le bon accomplissement de la mission confiée au mandataire.
A titre d'illustration, dans une affaire Bricorama, un ancien franchisé de ce réseau avait sollicité de la part de la tête de réseau la communication de tous les éléments de nature à lui permettre de vérifier qu’il a effectivement bénéficié de l'ensemble des sommes auxquelles il avait droit en vertu du mandat.
Les juges ont considéré, à la lumière des termes contractuels convenus entre les parties, que « la demande de production des éléments de preuve litigieux détenus par la société Bricorama » formulée par l'ancien franchisé ne pouvait prospérer dès lors qu'elle « ne relevait pas de la nature du contrat, ni de la loyauté contractuelle » (Cass. com. 8 juin 2017 n°15-27146 ; CA Paris 23 septembre 2015).
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Sur l’interprétation extensive de l’obligation de reddition des comptes
Les juridictions ne se limitent plus à l'examen des termes contractuels prévus par les parties puisqu'elles vérifient si le mandant a bien été à même de s’assurer de la bonne exécution du mandat, qu’il porte sur la négociation (avis CEPC n°15-14) ou sur l’encaissement.
La Cour de Cassation a ainsi jugé dans une affaire Promodès que le refus d'une tête de réseau, en sa qualité de mandataire, de répondre aux demandes d’informations des adhérents du réseau en leur qualité de mandant, qui les auraient permis « de s'assurer que l'intégralité des sommes encaissées, pour leur compte, leur avaient été reversées » constituait un manquement à l’obligation de reddition des comptes (Cass. com. 5 juin 2019 n°17-26119).
Cette interprétation jurisprudentielle de l'obligation de reddition des comptes vise à assurer au mandant un accès à l'information la plus complète sur l'accomplissement de la mission confiée au mandataire.
(MAJ 22 février 2021) La Cour de Cassation a maintenu cette analyse en retenant « qu'il incombait (au) mandataire, de communiquer (à) ses mandantes, les documents nécessaires, pour les mettre en mesure de s'assurer que l'intégralité des sommes encaissées pour leur compte leur avait été reversées ».
En l'espèce, les mandantes, des franchisés, n'avaient pas été en mesure de s'assurer que la réversion avait bien été intégrale puisque leur mandataire, la centrale d'achats du réseau de franchise auquel elles appartenaient, n'avait aucunement fait mention dans sa communication à leur égard des remises de fin d'année (RFA) accordés par les fournisseurs et qu'il avait encaissées pour leur compte (Cass. com. 27 janvier 2021 n°17-27773).
Sur le conflit entre le droit à l’information du mandant et la protection du secret des affaires du mandataire
Le mandataire est légitime à invoquer la protection du secret des affaires à l’égard de son mandant qui lui réclame l'exécution de son obligation de reddition des comptes.
Cette protection du secret des affaires a été consacrée en matière commerciale par la loi du 30 juillet 2018 ayant instauré les articles L.151-1 et suivants du code de commerce.
Concernant les affaires judicaires antérieures à l'entrée en vigueur de ladite loi, la jurisprudence prenait en compte la protection des intérêts légitimes du mandataire, dont celui relatif à la protection de son secret des affaires pour tempérer la portée de son obligation de reddition des comptes.
A cet égard, il a été considéré qu’il ne pouvait être fait obligation à une tête de réseau, en sa qualité de mandataire, « de révéler la teneur des négociations qu'(elle) a menées avec les fournisseurs qui relève du secret des affaires alors qu'une telle obligation nuirait nécessairement au réseau ».
En revanche, « il lui incombe de faire connaître l'issue des négociations » à ses mandants (CA Paris 23 septembre 2015 ; Cass. com. 8 juin 2017 précités).
Pour les cas postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi sur la protection du secret des affaires, l'opposabilité du régime légal de protection du secret des affaires est conditionnée au respect de la charge probatoire incombant au mandataire : il doit principalement rapporter la preuve que les informations en cause ont par leur caractère secret une valeur et que ces informations ont fait l’objet de mesures de protection raisonnables de sa part.
Cela nécessite donc pour le mandataire d'identifier en amont l’étendue exacte de son secret des affaires et de prendre des mesures sciemment prévues et conçues pour le protéger d’un risque de divulgation non voulue de celui-ci.
La résolution du conflit entre le secret des affaires du mandataire et le droit à l'information du mandant pourra alors se faire de manière très minutieuse, puisque le mandataire aura dans le cadre de cet exercice probatoire affiné l'étendue de son secret des affaires.
Sur l'articulation entre le droit à la preuve du mandant et la protection du secret des affaires du mandataire
Les juridictions ont eu à connaître de demandes de membres d’un réseau visant à obtenir de leur tête de réseau toutes les informations nécessaires leur permettant de s’assurer de la bonne exécution de l’obligation de reddition des comptes, de transparence ou encore de loyauté contractuelle.
Dans le cadre de procédures précontentieuses initiées avant l'entrée en vigueur de la loi sur la protection du secret des affaires, le succès de telles demandes était conditionné à l’exigence d’un motif légitime, sans nécessité d’un débat sur le fond de la qualification de mandat ou sur la portée précise des termes contractuels gouvernant la relation entre les parties (Article 145 du code de procédure civile).
Le juge saisi sur ce fondement s'en tenait à apprécier si « la mesure d'instruction sollicitée procède d'un motif légitime » et si elle « est nécessaire à la protection des droits des requérantes ». Au besoin, il devait « circonscrire la mesure aux éléments permettant d'atteindre cet objectif sans porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des autres parties » (Cass. com. 18 octobre 2017 n°16-15900), dont le secret des affaires.
Dans cette hypothèse, le juge de la mesure précontentieuse pouvait être conduit à prononcer une injonction judiciaire en communication de documents à l'égard d'une tête d’un réseau alors même que la portée précise de ses engagements ou encore la délimitation exacte du secret des affaires du mandataire n’avaient pas encore été débattues ni même tranchées judiciairement par le juge du fond.
L’exécution de l’injonction judiciaire pouvait alors avoir pour conséquences de dévoiler un certain nombre d’informations confidentielles du mandataire et ce, avant même que la question essentielle de l’étendue de la prérogative contractuelle du demandeur ait été débattue au fond. Le secret des affaires du mandataire pouvait alors être divulgué de manière irréversible et ce, quelle que soit l’issue donnée par le juge du fond.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi instaurent un régime de protection légale au secret des affaires, le mandataire qui souhaite opposer le secret des affaires à son mandant bénéficie de deux procédures spécifiques : l’une prévue pour le cas où le mandataire entend verser spontanément au débat une pièce mettant en jeu le secret des affaires et l’autre dans le cas où le mandant sollicite auprès du juge la communication/production par le mandataire d’une pièce mettant en jeu le secret des affaires.
Dans ces deux cas de figure, le juge dispose de nouvelles prérogatives pour trancher la question de savoir si le secret des affaires du mandataire est opposable au mandant et pour aménager les conditions dans lesquelles une pièce couverte par le secret des affaires peut être communiquée à ce dernier (tempéraments au principe du contradictoire, placement sous séquestre provisoire, communication d'une version non-confidentielle de la pièce, obligation de confidentialité incombant aux personne ayant eu accès à la pièce etc…).
Ce cadre procédural permet ainsi une meilleure articulation entre le droit à la preuve du mandant et la protection du secret des affaires du mandataire.
Remarques conclusives
Une tête de réseau de distribution commerciale doit se montrer très vigilante dans la rédaction des contrats retranscrivant les résultats des négociations menées au nom et pour le compte de ses adhérents auprès des fournisseurs ou aménageant l'encaissement de sommes perçues au nom et pour le compte de ses adhérents, tout particulièrement lorsqu’ils incluent en leur sein des informations confidentielles comme celles relatives aux éventuels services qu’elle rend en propre auprès de ces mêmes fournisseurs.
Une tête de réseau a à cet égard intérêt à distinguer le plus clairement possible les clauses conclues au titre d'un mandat et les informations confidentielles qui lui sont étrangères, comme les clauses relatives aux services qu’elle rend en propre vis-à-vis du même fournisseur. Faute d’opérer une distinction formelle, elle prend un risque accru de voir l’étendue de son secret des affaires contestée par un mandant, à l’occasion d’une procédure judiciaire en exécution de l’obligation de reddition des comptes.
Aux fins d’opposer le régime légal de protection du secret des affaires, elle doit justifier avoir pris en amont des mesures de protection raisonnables. A cet égard, elle a tout intérêt à prévoir une clause de confidentialité sciemment prévue à cet effet, adaptée au contenu et à l'étendue de son secret des affaires et suffisamment robuste pour être opposée au mandant s'agissant des éléments confidentiels, étrangers à l'obligation de reddition des comptes.
Cette problématique rédactionnelle est d’autant plus cruciale pour une tête de réseau que c’est principalement des membres de son réseau de distribution commerciale, qui ont l’intention ou ont effectivement acté leur passage au sein d’un réseau concurrent, qui font valoir de telles demandes auprès d'elle.
Partie 1/2 de l'article
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