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Comment assurer efficacement la protection du savoir-faire au moyen d’une clause de non-concurrence / non-affiliation valide ?
Auteur : Hugues Collette
Publié le :
02/01/2020
02
janvier
janv.
01
2020
Les clauses de non-concurrence et de non-affiliation post-contractuelles permettent à leur créancier de protéger son savoir-faire contre le départ de ses co-contractants qui viennent le concurrencer. Elles sont donc un mécanisme de protection d’un actif informationnel immatériel et essentiel de l’entreprise.
Ces clauses obéissent à un cadre juridique précis qui a subi une modification notable à l’été 2016. Depuis cette date, les juges ont eu l’occasion de préciser comment s’articulaient la norme qui préexistait et celle qui est venue s’y ajouter.
Cet article dresse un panorama du droit applicable à ces clauses afin de permettre aux lecteurs de vérifier si les clauses de non-concurrence / non-affiliation qu’ils ont convenues dans le cadre d’une relation commerciale est valide et partant efficace.
Définitions des notions
La clause de non-concurrence post-contractuelle a pour objet de limiter l’exercice d’un distributeur d’une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu’il quitte (Cass. com. 28 septembre 2010 n°09-13888) après la cessation des relations contractuelles.
La clause de non-affiliation post-contractuelle vise à interdire à un distributeur de créer ou d’appartenir à un réseau de distribution concurrent du réseau qu’il quitte, après la cessation des relations contractuelles.
Présentation des fondements applicables
Sur le fondement de la théorie générale des contrats (ancien article 1134 du Code civil ; nouvel article 1103 du Code civil) et de la liberté de commerce (L.420-1 du code de commerce), telles qu’interprétées par la jurisprudence, la grille d’analyse pour apprécier la validité d’une clause de non-concurrence / non-affiliation est la suivante :
1° elle est justifiée par la protection des intérêts légitimes de son créancier ;
2° elle ne porte pas une atteinte excessive à la liberté de son débiteur ce qui implique qu’elle soit limitée dans le temps et l’espace et quant à l’activité
A la question de savoir, si ces conditions cumulatives sont appréciées avec la même rigueur pour les clauses de non-concurrence et les clauses de non-affiliation, deux courants jurisprudentiels existent.
Le premier courant considère que les clauses de non-affiliation portent une atteinte moindre à l’exercice de l’activité commerciale de son débiteur qu’une clause de non-concurrence. Partant, il offre plus de latitude pour apprécier la validité de la première par rapport à la seconde (Cass. com. 28 septembre 2010 n°09-13888 ; CA Douai 31 mars 2016 n°14/04545).
Le second courant estime que les effets d’une clause de non-affiliation peuvent être en pratique identiques à celles d’une clause de non-concurrence (Cass. com 8 juin 2017 n°15-27146 ; 23 septembre 2014 n°13-22624), notamment lorsque l’exploitant de l’activité sans enseigne est très difficilement viable économiquement.
L’article L. 341-2 II du code de commerce pose quant à lui 4 conditions cumulatives à la validité des clauses de non-concurrence / non-affiliation :
1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l'objet du contrat en cause ;
2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat en cause ;
3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat en cause ;
4° Leur durée n'excède pas un an après l'échéance ou la résiliation d'un des contrats en cause.
Quel que soit le fondement, il n’est pas exigé au titre de la validité de ces clauses une quelconque contrepartie financière.
La différence entre ces deux régimes n’est pas aussi claire puisque la Cour d’appel de Paris a pu apprécier la validité d’une clause de non-concurrence, sur le fondement de la théorie générale des contrats et de la liberté de commerce, à l’aune des conditions d’exemption prévues par l’article 5 §3 du Règlement n°330/2010 du 20 avril 2010 au motif que la clause litigieuse était « susceptible d’affecter la totalité du territoire français, partie substantielle du marché de l’Union » (CA Paris 3 octobre 2018 n°16/05817).
Cela revient à faire application des conditions posées par l’article L. 341-2 du code de commerce sur le fondement de la théorie générale des contrats et de la liberté de commerce et, ce même si les conditions d’application de cette disposition ne sont pas remplies.
Sur la charge probatoire du créancier de l’obligation
Il appartient au créancier de la clause de non-concurrence / non-affiliation de justifier de la validité de sa clause s’il entend la faire jouer : « S’agissant d’une exception aux règles de libre concurrence, il appartient à la partie qui invoque les dispositions de l’article L. 341-2 dans son alinéa 2 pour mettre en œuvre une clause de non-affiliation post-contractuelle d’apporter la preuve qu’elle en remplit les conditions et que la mise en œuvre de cette clause est bien nécessaire et proportionnée à la protection d’un véritable savoir-faire » (T. com. Paris 19 septembre 2019 précité).
Au titre des exigences relatives aux délimitations matérielle, spatiale et temporelle de la clause de non-concurrence / non-affiliation, l’analyse se fait uniquement au regard des termes contractuels en vigueur entre les parties.
Il suffit de constater que les termes de la clause ne remplissent pas l’une des conditions posées pour invalider l’ensemble de la clause.
Les nouvelles dispositions de l’article L. 341-2 précité opèrent un durcissement de ces exigences en particulier sur le point relatif au local qui « vise uniquement les lieux à partir desquels les biens ou services contractuels sont offerts à la vente et non pas l’ensemble du territoire dans lequel ces biens ou services peuvent être vendus au titre d’un contrat de franchise » (CJUE 7 février 2013 aff. C-117 /12).
Au titre de l’exigence relative à la justification de l’existence de cette clause, à savoir en pratique la protection d’un savoir-faire, il importe pour le créancier de démontrer que « l’ensemble des éléments constitutifs du savoir-faire soit suffisamment original pour être utile (au franchisé) en ce sens que l’application directe et immédiate de cet ensemble d’éléments lui évite de tâtonner et de commettre des erreurs » (T. com. Paris 6 février 2019 n°2018046038).
Ce savoir-faire est défini comme « un ensemble secret, substantiel et identifié d'informations pratiques non brevetées, résultant de l'expérience du fournisseur et testées par celui-ci; dans ce contexte, «secret» signifie que le savoir-faire n'est pas généralement connu ou facilement accessible; «substantiel» se réfère au savoir-faire qui est significatif et utile à l'acheteur aux fins de l'utilisation, de la vente ou de la revente des biens ou des services contractuels; «identifié» signifie que le savoir-faire est décrit d'une façon suffisamment complète pour permettre de vérifier s'il remplit les conditions de secret et de substantialité » (Règlement n°330/2010 article 1 §1 g).
La Cour de Cassation retient quant à elle que ce savoir-faire est « un ensemble d’informatiques pratiques non brevetées, résultant de l’expérience du franchiseur et testées par celui-ci, ensemble qui est secret, substantiel et identifié » (Cass. com. 8 juin 2017 n°15-22318).
En pratique, il incombe au créancier de documenter son savoir-faire pour établir qu’il est secret, substantiel et identifié. Au titre du caractère substantiel, il convient de faire valoir le succès qu’un tel savoir-faire a rencontré.
Au titre de l’exigence relative au caractère indispensable de la clause pour protéger le savoir-faire comme nouvelle condition posée par l’article L. 341-2 précité, il convient de pouvoir justifier que tout autre mécanisme contractuel prévu ou non dans le contrat, tel qu’une clause de confidentialité, serait insuffisant à assurer la protection de ce savoir-faire.
Sur la question de la sanction propre à chaque fondement
L’article L. 341-2 du code de commerce prévoit expressément que les clauses de non-concurrence / non-affiliation qui ne remplissent pas l’une des quatre conditions cumulatives précitées sont « réputées non écrites ».
Sur le fondement de la théorie générale des contrats et de la liberté de commerce, la sanction attachée au non-respect des exigences prétoriennes est la nullité (Cass. com 11 mai 2017 n°15-12872 ; 4 novembre 2014 n°12-25419 ; CA Paris 3 octobre 2018 n°16/05817).
Certaines juridictions du fond continuent pourtant de ne pas faire la distinction (T. com. Paris 18 septembre 2019 précité ; T. com. Bordeaux 26 janvier 2018). Certains juges ont même envisagé la possibilité d’une révision prétorienne de la clause illicite (CA Paris 21 juin 2017 n°15/15949).
A noter qu’une pratique exemptée ne peut être déclarée nulle, de sorte que des clauses de non-concurrence / non-affiliation qui rempliraient les conditions prévues par le Règlement n°330/2010 ne peuvent être déclarées nulles par les juridictions.
Sur le champ d’application respectif de ces fondements
L’article L. 341-2 du code de commerce s’applique à toute clause de non-concurrence/non-affiliation insérée dans un « ensemble des contrats conclus entre, d'une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que (les sociétés coopérative et magasins collectifs), ou mettant à disposition les services (de franchise) et, d'autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d'un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l'exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d'exercice par cet exploitant de son activité commerciale » (L. 341-1 du code de commerce).
Le Conseil Constitutionnel a précisé que cette disposition n’était applicable qu’aux contrats conclus entre « un réseau de distribution commerciale » et un « exploitant de commerce de détail qui (lui est) affilié » (Conseil. Constit. Décision n°2015-715 DC du 5 août 2015 pt 24).
Il y a donc lieu de comprendre que cette disposition s’applique à toute clause ayant pour objectif ou pour effet de restreindre la liberté de commercer d’un exploitant d’un magasin de détail membre d’un réseau de distribution commerciale, postérieurement à la rupture de liens contractuels avec ledit réseau.
Tentons d’approcher ces deux notions de « réseau » et de « commerce de détail ».
La Cour d’appel de Paris a retenu que la notion de réseau impliquait « l’existence de contrats (…) comportant des obligations réciproques entre une tête de réseau décisionnaire et ses affiliés, ainsi qu’une organisation commune », étant précisé que « l’adoption par (des) magasins d’une enseigne commune ne suffit pas à constituer un réseau » (CA Paris 23 janvier 2019 n°16/15238).
La notion de « magasin de commerce de détail » n’a fait l’objet d’aucune définition légale.
La jurisprudence (T. com. Paris 6 février 2019 n°2018046038) a donc repris la définition qu’en avait faite l’Autorité de la concurrence : « la notion de commerce de détail doit être définie par référence aux règles applicables en matière d’équipement commercial. Un magasin de commerce de détail s’entend comme un magasin qui effectue essentiellement, c’est-à-dire pour plus de la moitié de son chiffre d’affaires, de la vente de marchandises à des consommateurs pour un usage domestique. Est incluse la vente d’objets d’occasion (brocante, dépôts vente, etc…). Sont traditionnellement assimilés à du commerce de détail, bien que ne constituant pas de la vente de marchandises, un certain nombre de prestations de service à caractère artisanal (pressing, coiffure et esthétique, cordonnerie, photographie, entretien véhicules et montage de pneus) » (Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations pt. 80).
Partant, toute clause de non-concurrence/non-affiliation insérée dans un contrat commercial, autre qu’un contrat conclu entre une tête de réseau de distribution commerciale et un exploitant de commerce de détail tel que défini par l’article L.341-1 précité, échappe à l’article L. 341-2 précité et reste soumis à la théorie générale des contrats et la liberté de commerce.
Il en va ainsi des contrats conclus dans le cadre d’activités d’agence de travail temporaire (T. com. Paris 6 février 2019 précité), « des prestations de service à caractère immatériel ou intellectuel (comme les banques, l’assurance, ou les agences de voyage) ainsi que les établissements de service ou de location de matériel (comme les laveries automatiques ou les vidéothèques), et les restaurants. Sont aussi exclues les entreprises qui réalisent la totalité de leurs ventes en ligne ou par correspondance, ou encore via des livraisons directes aux consommateurs » (Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations pt. 80).
Sur l’articulation de ces fondements dans le temps
La loi n°2015-990 du 6 août 2015, instaurant l’article L. 341-2 du code de commerce, est parue au journal officiel du 7 août 2015.
L’article 31 II de cette loi prévoyait expressément que les articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce s’appliquaient « à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi », soit une entrée en vigueur au 8 août 2016.
Le principe est que d’une part les contrats conclus postérieurement au 7 août 2016, dès lors qu’ils rentrent dans le champ d’application de l’article L. 341-1 du code de commerce, sont soumis à l’article L. 341-2 du même code. D’autre part, les contrats commerciaux expirés avant le 8 août 2016 sont soumis à la théorie générale des contrats et à la liberté de commerce.
Les juridictions ont tout récemment eu à connaître de la question de l’application de ces dispositions aux contrats en cours.
Les premiers juges ont penché en faveur d’une application de l’article L. 341-2 du code de commerce aux contrats en cours, c’est-à-dire rétroactivement à sa date d’entrée en vigueur. C’est le cas des tribunaux de commerce de Paris (T. com. Paris 18 septembre 2019 n°2018059209) et de Bordeaux (T. com. Bordeaux 26 janvier 2018 n°2016F00694) ainsi que de la chambre 2 du pôle 1 de la Cour d’appel de Paris (CA Paris 1-2 22 novembre 2018 n°18/06688).
Ce courant jurisprudentiel a été sévèrement critiqué par le professeur Cyril Grimaldi (L’application erronée des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de commerce aux contrats en cours Lextenso n°3 mars 2019).
La chambre 11 du pôle 5 de la Cour d’appel de Paris vient encore plus récemment de se montrer sensible à cette analyse : elle a écarté l’application de l’article L. 341-2 à un contrat en cours et s’est fondée sur la théorie générale des contrats et la liberté de commerce (CA Paris 5-11 13 décembre 2019 n°19/02615).
Cette solution mérite d’être saluée, en ce qu’elle plus rigoureuse juridiquement et offre aux parties la possibilité d’aménager les nouvelles conditions de leur période post-contractuelle à l’occasion d’une nouvelle relation contractuelle, sans les contraindre à réécrire dans la précipitation les contrats en vigueur.
Reste à la Cour de Cassation de mettre un point final à cette controverse.
Remarques conclusives
Nombreuses sont les décisions judiciaires qui font échec à l’application des clauses de non-concurrence / non-affiliation contenues dans des contrats commerciaux.
Pour pallier le risque d’une mise en échec judiciaire d’une clause de non-concurrence / non-affiliation et donc de perte de valeur du savoir-faire, les entreprises doivent se montrer extrêmement vigilantes sur leur rédaction et sur la manière de justifier leur savoir-faire.
La rédaction de ces clauses est primordiale puisque l’appréciation de leur validité se joue principalement sur les termes utilisés pour circonscrire et justifier son existence.
Sur la justification du savoir-faire, le test s’est durci depuis l’entrée en vigueur de l’article L. 341-2 précité puisque le test de proportionnalité a cédé la place, pour les contrats de distribution commerciale, à un examen du caractère indispensable de la clause. Cela relève l’exigence probatoire du créancier de la clause, qui doit dorénavant justifier qu’une clause de confidentialité est insuffisante à elle seule pour protéger son savoir-faire.
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